Abderrahim Dbich, directeur général délégué d’Axa Assurance Maroc: «La crise impacterait notre chiffre d’affaires et notre résultat annuel à court terme mais n’aura aucune conséquence sur la solvabilité et le capital à l’horizon de l’année suivante»
Les compagnies d’assurances ont alloué 1 milliard de DH au fonds Covid-19 et vont prendre en charge les intérêts générés par les crédits octroyés aux autoentrepreneurs. D’autres mesures de soutien concernent les assurés et les agents et courtiers d’assurance. A côté, il y a les mesures individuelles prises par les compagnies pour accompagner leurs clients.
Les premiers résultats trimestriels montrent bien que la secousse induite par la crise sanitaire va causer pas mal de dégâts dans les bilans des entreprises financières (banques et assurances) qui doivent aussi gérer les critiques sur la gestion de la crise. Les assureurs prévoient de rétrocéder plusieurs centaines de millions de DH de primes aux automobilistes suite à la baisse de la sinistralité durant la période de confinement.
– L’Economiste: Quels sont les premiers effets de la crise sur Axa?
– Abderrahim Dbich: Axa Assurance Maroc dispose d’une forte solidité financière de son bilan et de sa solvabilité. En plus, nous bénéficions de la solidité d’un groupe mondial réputé par sa solvabilité et sa forte résilience financière. Nous estimons que les effets de cette crise impacteraient principalement notre chiffre d’affaires et notre résultat annuel à court terme, sans aucun impact sur la solvabilité et le capital à l’horizon de l’année suivante. Sur le marché, une question reste toutefois ouverte: le niveau des impayés constaté à date affiche une augmentation importante, représentant le double des niveaux habituels. L’estimation de l’impayé au niveau du marché à fin avril 2020 avoisinerait quelques milliards de dirhams.
– A combien estimez-vous l’impact sur le chiffre d’affaires?
– Depuis le début de cette crise sanitaire, et à l’image de plusieurs autres secteurs économiques, l’activité assurance a connu une baisse significative sur l’ensemble des branches dommages, notamment l’automobile dont la baisse d’activité s’élève à 60% depuis le début du confinement. Les chiffres publiés par le régulateur à fin mars montrent que les primes émises de l’assurance RC automobile ont enregistré une baisse de plus de 15%, sachant que ce trimestre n’a été impacté que par 10 jours de confinement.
– Le confinement a aussi entraîné une chute de la sinistralité automobile. Allez-vous accorder une ristourne aux clients?
– D’après les chiffres publiés par la DGSN, la baisse des accidents routiers depuis le début du confinement est autour de 60% pour les premières semaines. Ce constat est également observé par les différents acteurs du secteur. Toutefois, cette tendance commence à ralentir depuis la deuxième période de confinement. Bien que le marché ait constaté une baisse d’accidents ces dernières semaines, il est difficile aujourd’hui d’anticiper leur évolution dans les prochains mois. Après cette période de confinement nous pourrions nous attendre à une forte hausse de l’usage des véhicules par les particuliers, ce qui pourrait neutraliser une grande partie de cette baisse. Techniquement, la quantification de l’action de rétribution des assurés ne serait raisonnablement précise que vers la fin de l’année. Toutefois, le marché d’assurance, porté par son élan de soutien à ses clients particuliers et avec l’accompagnement du régulateur, est en train d’examiner une mesure générale leur permettant de bénéficier de cette baisse de la sinistralité. Les travaux de la commission constituée à cet égard avancent bien et une communication du secteur pourrait intervenir à partir de cette semaine. Le budget de cette mesure pourrait se chiffrer en plusieurs centaines de millions de dirhams.
– A l’avenir, la couverture des risques liés aux pandémies pourra-t-elle être prise en charge?
– L’assurance pertes d’exploitation a pour objectif de garantir des rentrées financières pendant la période d’arrêt ou de ralentissement de l’activité de l’entreprise résultant d’un sinistre dommage physique couvert par l’une des garanties principales suivantes: l’incendie, bris de machine ou catastrophes naturelles (tremblement de terre et inondation). Au Maroc, cette couverture facultative est faiblement souscrite et souvent avec des capitaux limités.
La couverture des pandémies dans le cadre de la perte d’exploitation n’est pas une garantie assurable au vu de l’absence de principe de la mutualisation qui représente le fondement de l’assurance. En effet, les pandémies représentent un risque systémique qui touche l’ensemble des clients assurés, ce qui nécessiterait de réclamer un tarif équivalent aux capitaux assurés!
Parmi les modèles potentiels de couverture de ce type de risque figurerait la mise en place d’un fonds de couverture national, alimenté par des ressources diversifiées et garanti par l’Etat, à l’image de la couverture contre les évènements catastrophiques entrée en vigueur le 1er janvier 2020. A l’heure actuelle, le secteur et le régulateur sont engagés sur la gestion de la crise, et les discussions sur des éventuelles solutions de couverture dans le futur peuvent être entamées après.
– Qu’est-ce qui va changer pour les activités assurantielles après cette crise?
– Comme dit l’adage: «A quelque chose malheur est bon». Certes, cette crise impactera l’activité et le résultat du secteur d’assurance à court terme mais elle a aussi accéléré la transformation de notre activité, notamment à travers une forte agilité, du télétravail et une digitalisation de plusieurs processus opérationnels. Aussi, cela aura servi de tester grandeur nature l’efficacité des plans de continuité des opérateurs et de renforcer le lien avec les clients et les partenaires distributeurs. Je pense qu’après cette crise la transformation de notre métier devrait s’accentuer aussi bien en termes de digitalisation qu’en termes d’innovation pour accompagner le besoin évolutif de nos clients. Egalement, les politiques de gestion de risque des assureurs devraient évoluer pour assurer une résilience plus anticipée face à ce type de crise.
Propos recueillis par Franck FAGNON
Les principales couvertures étendues automatiquement
En dehors des mesures sectorielles, Axa a aménagé un dispositif spécifique pour ses clients. L’assureur va maintenir les couvertures pour une période de trois mois au profit des entreprises en difficulté et dont une partie des salariés bénéficie de l’aide du fonds Covid. Les artisans, commerçants, professions libérales et TPE sont également concernés. Cet assouplissement bénéficiera à 80.000 clients de la compagnie. La couverture Décès et Invalidité restera active pour les clients bénéficiant d’un moratoire de paiement de leurs échéances de crédit.
D’un autre côté, les salariés en arrêt temporaire de travail et déclarés à la CNSS vont bénéficier gratuitement de la couverture Décès. Pour la maladie, les délais de déclaration des sinistres ont été allongés de six mois et la compagnie remboursera les consultations médicales réalisées via téléconsultation sur la plateforme Dabadoc.
Durant la crise sanitaire, l’assureur permet aux clients industriels ayant mis un ou plusieurs sites de production en arrêt total d’aménager les couvertures dommages. Les couvertures facultatives en assurance automobile pour les secteurs d’activités de location et de transport des écoliers peuvent optionnellement être suspendues pendant 60 jours maximum.
Par ailleurs, Axa prorogera automatiquement pendant deux mois les assurances des chantiers de construction dont le montant des travaux est inférieur à 50 millions de DH. Plus de 2.000 chantiers sont concernés.
Franck FAGNON | Edition N°:5758 Le 11/05/2020 – L’economiste