CNOPS : Une autre réforme bloquée, l’AMO du public sous pression

L’AMO du public joue sa pérennité. Sa réforme entamée par un important changement institutionnel est aujourd’hui bloquée, faute d’un seul décret qui doit nommer les membres du conseil d’administration et rendre donc effective la création de la CMAM. Pour ses finances, c’est d’une réforme paramétrique dont elle a besoin. Sur ce volet rien n’est encore fait.

CNOPS : Une autre réforme bloquée, l'AMO du public au bord de la faillite

L’assurance maladie obligatoire (AMO) vit aujourd’hui au rythme des réformes et des évolutions disparates entre privé et public.

Le régime de l’AMO du privé géré par la CNSS voit certaines réformes bloquées pour des raisons encore aujourd’hui inexpliquées.

Le régime AMO des indépendants, également géré par la CNSS, peine quant à lui à trouver sa vitesse de croisière. Les concertations avec les principales professions (comme les médecins, les commerçants, les architectes, les pharmaciens,…) s’éternisent.

Pour sa part, le régime AMO public géré par la CNOPS est sous pression. Il est même accusé de bloquer la réforme de la tarification nationale de référence des prestations de soins que voulait engager la CNSS car sa situation financière ne permet pas une revalorisation des bases de remboursement.

La tarification nationale est la base des remboursements et elle doit être validée et signée par l’ensemble des organismes gestionnaires de l’AMO pour qu’elle soit effective. En janvier 2020, la CNSS a été seule à signer de nouvelles conventions révisant certains TNR sous l’égide de l’ANAM et du ministère de la Santé. La CNOPS s’est abstenue. Depuis, le blocage persiste sur ce point.

Un déblocage ne peut donc être espéré que si la situation financière du régime AMO public s’améliore. Ce qui interpelle sur le sort de la réforme entamée du transfert des régimes gérés par la CNOPS à la Caisse marocaine de l’assurance maladie (CMAM). Cette caisse, un établissement public doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière, viendra remplacer la CNOPS, qui est une fédération de huit mutuelles, assujettie à plusieurs lois à la fois.

Faute d’un décret, la CMAM n’est toujours pas opérationnelle

Le décret-loi portant création de la CMAM a été publié au BO en octobre 2018. Deux ans plus tard, cet établissement supposé répondre à toutes les problématiques institutionnelles que rencontrait la CNOPS n’est toujours pas opérationnel. Et pour cause, il manque le décret de nomination des membres du conseil d’administration.

En juillet 2019, le conseil du gouvernement a adopté le projet de décret 2.19.328 relatif à la composition de la Caisse marocaine de l’assurance maladie. On sait que le conseil d’administration sera présidé par le chef du gouvernement ou par une autorité gouvernementale déléguée à cet effet, en plus de 8 représentants de l’administration, et un représentant de l’Agence nationale d’assurance maladie (Anam). Il sera également composé de 4 représentants des mutuelles.

Mais à défaut de nominations qui n’ont pas été faites jusque-là, la CNOPS est toujours vivante et la CMAM n’est pas entrée en vigueur.

« Tout l’arsenal juridique a été complété et finalement tout ce qui a été fait reste suspendu à un seul texte de nomination qui n’a pas été publié pour une raison inconnue », nous explique une source proche du dossier.

Quand ce décret sera publié, la CMAM prendra possession des régimes gérés par la CNOPS, et le sort de cette dernière restera entre les mains des mutuelles qui devront décider de la maintenir ou de la dissoudre.

En prenant possession des régimes de la CNOPS, la CMAM héritera aussi d’une situation financière fragile. Selon les derniers chiffres communiqués par la CNOPS, le mardi 6 octobre, les comptes de la caisse ont enregistré un résultat global positif de 62.4 MDH, après deux années de déficit (-22.6 MDH en 2017 et -2.8 MDH en 2018) grâce aux mesures de maîtrise médicalisée des dépenses de soins, notamment des soins dentaires, et en raison de la dernière revalorisation des salaires intervenue en 2019 dans le cadre du dialogue social.

Les excédents cumulés du régime AMO du secteur public s’élèvent, au 31 décembre 2019, à 7,534 MMDH sans tenir compte de la réserve de sécurité, destinée à faire face aux insuffisances temporaires et imprévues de liquidités, qui s’élève à 1,228 MMDH. « Pour autant, cette situation financière saine reste conjoncturelle et appelle à la prudence, vu que le résultat technique en 2019 était négatif (-180 MDH) ».

La CNOPS a également communiqué des données sur ses dépenses. Ainsi du 1er janvier 2020 au 30 septembre 2020, la caisse a payé 3,271 MMDH pour couvrir les dépenses de soins de santé, contre 3,456 MMDH durant la même période en 2019, enregistrant une légère baisse de 185 MDH, en raison de la pandémie de la Covid-19 et des mesures de confinement adoptées depuis mars 2020.

Les remboursements des assurés au titre de l’AMO du secteur public ont totalisé rien que les neuf premiers mois de 2020, 1,706 MMDH, contre 1,970 MMDH en 2019. Plus de 2,6 millions de dossiers de maladie ont été liquidés par les mutuelles bénéficiaires de la délégation de gestion pour gérer les soins ambulatoires. De son côté, la CNOPS, qui a liquidé en 2020, 285.760 dossiers, a payé directement aux producteurs de soins dans le cadre du tiers payant 1,565 MMDH de janvier à septembre 2020, contre 1,486 MMDH durant la même période de l’année 2019.

La pérennité financière de l’AMO du public dépend d’une réforme paramétrique

La CNOPS aime parler dans sa communication d’une situation financière saine. Mais, bien qu’elle dispose d’un excédent qui dépasse 7 MMDH et d’un résultat global positif, le résultat technique déficitaire suppose que la caisse grignote chaque année un peu plus dans ses réserves. Elle est donc sous pression. Cette pression, elle l’explique par « la persistance de facteurs qui en menacent la pérennité financière ».

« Parmi ces facteurs, la stagnation des cotisations et leur plafonnement, le vieillissement accéléré de la population assurée, l’accroissement des personnes porteuses d’affection de longue durée et de leurs dépenses, les prix exorbitants de plusieurs postes comme le médicament (30% des dépenses), les analyses biologiques, les dispositifs médicaux, etc., et l’extension continue du panier de soins,… », lit-on dans le communiqué de la CNOPS.

Sur ce volet, la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale a toujours un discours clair et précis. Ces trois principaux paramètres, que sont les cotisations, la population assurée et les prestations de soins, tels qu’ils sont actuellement appliqués ne lui permettent pas d’envisager une amélioration de sa situation financière. Il faut agir sur les trois, ou à défaut, sur un ou deux paramètres.

Il est aussi important de noter, que de par son rôle d’autorité de régulation, de contrôle et d’encadrement technique du système de couverture santé au Maroc notamment l’AMO, l’ANAM est impliquée dans le processus de réforme. Elle est dans ce sens habilitée à proposer aux autorités compétentes, c’est-à-dire l’Etat, des mesures pour revoir le financement de l’AMO pour le public.

Pour le paramètre de la population, il est difficile d’agir dessus dans la mesure où cela est lié au recrutement dans la fonction publique. Avec la crise, les recrutements seront limités, à part dans trois secteurs, à savoir la santé, les départements de la sécurité nationale et l’éducation. Nous ne serons pas en présence d’importantes vagues de recrutement, de ce fait le nombre de nouveaux cotisants restera globalement peu impactant dans la situation de la CNOPS.

En face, « la population est vieillissante. Le ratio se dégrade et en même temps le nombre d’ALD augmente », poursuit notre expert. « Le nombre était en 2005/2006 aux alentours de 55.000 personnes, maintenant il culmine à 190.000 personnes -ce qui représente 6,1% de la population assurée, alors qu’elles consomment 50% des prestations ».

Il est donc difficile d’agir sur ce paramètre. Il faut donc agir soit sur les cotisations ou les prestations. Sur le volet de la cotisation, « la CNOPS est le seul organisme au Maroc (secteurs public et privé) à avoir un plafond de cotisations qui est de 400 DH. Une fois que les salaires dépassent les 16 000 DH, c’est le plafond qui est prélevé, privant ainsi la CNOPS de quelques 400 MDH de cotisations. Même le taux de cotisation n’a pas bougé », explique un expert qui suit ce dossier depuis plusieurs années.

Les demandes pour le déplafonnement n’ont jamais trouvé écho auprès du gouvernement. Si la raison n’a pas été expliquée officiellement, l’on peut facilement imaginer que l’Etat-employeur refuse cette option pour les répercussions qu’elle aura sur ses propres finances.

Il reste alors le dernier paramètre, celui des prestations. Sur ce volet, la CNOPS a toujours défendu la thèse selon laquelle il y a un véritable effort d’optimisation à faire au niveau des prestations, dans le sens de la baisse des factures. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé cette caisse à refuser les négociations entamées dans le sens de la revalorisation de certains actes, estimant plutôt qu’il faut aller dans le sens de la baisse du coût des prestations et non sa hausse. D’autant plus que malgré des cotisations plafonnées, le régime de la CNOPS est beaucoup plus généreux avec ses assurés que celui de la CNSS. Pour ne prendre que ces exemples : les consultations sont remboursées à hauteur de 80%; le remboursement du médicament varie entre 70 et 100%; le médicament consommé lors d’une hospitalisation est pris en charge à 100% dans le secteur public et à 90% dans le secteur privé.

Selon nos informations, les médicaments remboursables sont passés de 1.000 médicaments à 4.820 médicaments. La liste des dispositifs médicaux remboursables a été multipliée par 6, passant de 168 à 887. Dans l’absolu c’est une bonne nouvelle pour les assurés, mais cela doit être accompagné par un suivi et une amélioration de la situation financière des régimes. Ce qui n’a pas été le cas, notamment pour la CNOPS.

Une réforme globale est nécessaire

En somme, on se retrouve avec deux régimes gérant l’Assurance maladie obligatoire avec des paramètres fondamentalement différents devant se baser sur les même TNR.

D’un côté, la CNSS avec un régime disposant d’une base de cotisation plus intéressante que le public (nombre de cotisants et niveau de cotisations), moins généreux avec les assurés, avec un taux de sinistralité bas.

De l’autre, la CNOPS ou la future CMAM avec un régime où les cotisations sont plafonnées, plus généreux avec les assurés et avec un taux de sinistralité élevé (49%).

Face à une situation aussi kafkaïenne, il parait évident qu’une réforme impliquant les deux systèmes en l’état ne conviendra pas aux deux, tant les fondamentaux sont différents. Sans parler du fait, que géré ainsi, le système ne respecte en rien l’équité et l’égalité entre les différents assurés de l’AMO. Les assurés du secteur privé cotisent plus et profitent moins de l’AMO induisant de fait un restant à charge important. Et à cause de la situation financière de la CNOPS, toute amélioration immédiate est à exclure.

Ceci dit, il faut aussi ajouter à cette équation insoluble en l’état, les régimes de l’AMO des indépendants, celui du Ramed récemment annoncé par le gouvernement. En somme, une généralisation, d’ici la fin 2022 au plus tard, de la couverture médicale obligatoire, de sorte que 22 millions de bénéficiaires additionnels accèdent à l’Assurance maladie de base qui couvre les frais de soins, de médicaments, d’hospitalisation et de traitement, comme l’a précisé le Souverain dans son discours à l’occasion de l’ouverture de la 1ère session de la 5ème année législative de la 10-ème législature.

Est-ce en la perspective d’une réforme plus globale que tous les chantiers de la CNSS et la CNOPS ont été mis en suspens ? Rien n’est sûr, mais il semble que l’intérêt royal pour ce chantier structurant fera bouger les lignes. Surtout que le Souverain a appelé « à une concertation élargie avec l’ensemble des partenaires et à la mise en place d’un pilotage innovant et efficace de ce projet sociétal, dans la perspective de créer un organe unifié, chargé de coordonner et de superviser les régimes de protection sociale ».

09 octobre 2020 – 

Hayat Gharbaoui – Médias24 - Journal économique marocain en ligne

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