– L’Economiste: L’industrie de la finance accorde-t-elle une place suffisante aux femmes?
-Meryem Chami: En prenant exemple sur mon propre parcours, j’ai plus souffert de mon âge que de mon genre. Il est beaucoup plus difficile d’avoir accès à des postes de responsabilité en étant jeune qu’en étant femme. Je ne suis pas féministe parce que j’estime qu’une place doit se gagner par le mérite et la performance. Charge à nous en tant que femmes de démontrer la valeur ajoutée qu’on peut apporter. Mais il est clair que les femmes ne sont pas assez représentées dans les organes de gouvernance aussi bien dans le secteur privé que dans le public. Plus globalement en Afrique, je pense qu’il y a davantage un problème de génération que de parité homme-femme. Il faut arriver à intégrer des dynamiques nouvelles avec une génération qui amène un souffle nouveau.
– Comment allez-vous faire la promotion de cette diversité à AXA Assurance Maroc?
– Au Maroc ou ailleurs, AXA est une entreprise qui a toujours promu la diversité. Pas seulement la parité homme-femme, mais la diversité au sens global. A AXA Assurance Maroc, nous sommes à l’équilibre genre avec une bonne mixité des âges et des origines. C’est un mélange qui apporte de la richesse. Mon objectif est d’en faire éclore tout le potentiel en prônant l’intelligence collective et la co-construction.
-Vous avez été chargée de la transformation de grands groupes dans les secteurs bancaire, minier… Quelle sera votre feuille de route à AXA?
– J’ai trouvé une entreprise robuste avec des fondamentaux parmi les plus solides du secteur. Cela constitue une bonne base pour la construction de notre projet d’entreprise. L’un des grands enjeux sera de nouer une nouvelle relation avec nos assurés. L’idée est que dans leur vie, leur projection d’avenir, ils perçoivent AXA Assurance Maroc comme un partenaire qui leur fournit les meilleures solutions et protège ce qui compte le plus pour eux. Il y a par exemple toutes les solutions de prévention autour de la santé.
– Lesquelles?
– L’utilisation de la technologie permettra par exemple d’identifier les personnes à risque pour les maladies chroniques et de les prendre en charge rapidement. Les expériences d’AXA dans le monde ont démontré qu’un cancer du sein détecté en avance est bénéfique pour le client et la compagnie. Ce sont des dynamiques qu’il faut qu’on arrive à instaurer au Maroc. Idem sur le marché de l’entreprise où il faudra protéger et accompagner nos clients sur les sinistres classiques et les risques émergents. Nous allons redéfinir les parcours clients afin d’accompagner nos clients dans chaque aspect de leurs projets, en parfaite harmonie avec notre réseau d’agents qui est l’extension naturelle de la compagnie dans une approche win-win-win (Clients, Agents et AXA).
Par ailleurs, nous co-construirons avec nos courtiers partenaires des solutions adaptées pour mieux servir les clients Entreprise, plus réceptifs et demandeurs du digital aujourd’hui.
– Comment allez-vous traduire ces orientations sur le terrain?
– Nous avons des chantiers transverses qui s’appliquent à toutes les lignes de métiers pour industrialiser l’approche et fluidifier l’ensemble des parcours. Le ticketing par exemple nous permettra de monitorer nos délais de traitement. Nous tirons avantage de l’appartenance au groupe AXA et de la possibilité d’adapter au marché marocain ce qui a marché à l’étranger. Aujourd’hui, les référentiels de données deviennent un sujet majeur. Avoir une vue 360° du client, particulier ou entreprise, permettra d’offrir la meilleure expérience possible. Nous avons un très gros chantier sur les référentiels de données.
Au niveau des lignes métiers, certaines sont plus développées que d’autres en raison de leur poids dans le portefeuille. C’est le cas par exemple de l’automobile. Nous sommes en train de déployer une solution basée sur l’intelligence artificielle. Elle nous aidera non seulement à remonter les photos pour bien évaluer les coûts de réparation, mais aussi à identifier des cas de fraude.
– Pourquoi le marché de l’assurance est-il à la traîne par rapport à d’autres secteurs sur l’usage des nouvelles technologies?
– De l’extérieur, je n’avais pas idée de la complexité des acteurs dans le monde de l’assurance. Contrairement aux clients d’une banque, les assurés ont rarement un contact avec une compagnie d’assurances dans leur parcours. Généralement, leur interlocuteur est l’agent ou le courtier. La complexité vient donc de la multiplicité des acteurs. Ce qui rend la redéfinition du parcours client plus complexe. Pour y arriver, il faut aligner les intérêts, la vision et ce n’est pas toujours simple. Nous sommes par exemple préparés à assurer la prise en charge directement chez le médecin. Pour cela, il faut que les médecins soient prêts à jouer le jeu et à articuler le parcours.
– Est-ce que c’est le cas aujourd’hui?
– L’avantage que nous avons aujourd’hui est qu’il y a un nouveau concept de transformation qui émerge un peu partout dans le monde et qu’on doit implémenter au niveau de notre industrie: le design thinking. Il s’agit de repenser le parcours client dans une approche collaborative qui inclut toutes les parties prenantes. C’est une dynamique complètement différente de celle d’aujourd’hui où nous sommes habitués à écrire des cahiers de charges.
– Autrement dit, il faut réinventer l’assurance?
– Je pense que l’assurance doit se réinventer pour plusieurs raisons. Nous avons de nouveaux risques qui émergent et qui n’étaient pas identifiés en tant que tel ou à qui on n’accordait pas suffisamment d’importance il y a quelques années. C’est le cas de la cybersécurité ou encore de la couverture AT pendant le télétravail. En outre, nous sommes dans un monde où la data est devenue stratégique. C’est quelque chose qui peut être extrêmement puissant. Dans l’environnement marocain, nous avons un autre sujet important qui est la gestion de la fraude. Je salue le travail de la FMSAR sur le partage de données. Il est essentiel d’avoir dans le secteur une logique de partage de risque ne serait-ce que la sinistralité, les assurances doubles ou le recouvrement à l’image du secteur bancaire.
– Avez-vous évalué la charge et le coût de mise en conformité à la solvabilité basée sur les risques?
-AXA Assurance Maroc appartient à un groupe international et doit de ce fait répondre aux exigences de l’Acaps et de sa maison mère. Nous avons le bilan le plus solide du secteur par pilotage historique. Que ce soit en termes de gouvernance ou de solvabilité, nous sommes parmi ceux qui sont les plus proches de la directive Solvency II et nous abordons les changements à venir sur le marché marocain avec sérénité. Nous passerons le cap facilement.
– Le retrait d’AXA d’un certain nombre de pays soulève des interrogations sur ses projets pour le Maroc. Qu’en est-il?
– AXA s’est retiré de certains marchés et s’est installé dans d’autres. Dans les pays d’Europe de l’Est, elle n’avait pas une position stratégique et ce sont des marchés où le taux de pénétration de l’assurance est relativement élevé. Par contre, le groupe a choisi de se développer en Afrique et en Amérique latine. Il a procédé à deux ouvertures greenfield en Egypte et au Nigéria.
La pénétration de l’assurance en Afrique est parmi les plus faibles au monde. Ce sont donc des marchés du futur. Aujourd’hui, le Maroc est la locomotive de l’Afrique.
Propos recueillis par Franck FAGNON
Les durs effets de la crise
Alors que les renouvellements de contrats devraient battre leur plein, c’est plutôt l’attentisme qui règne, relèvent les assureurs. De nombreux clients manquent de visibilité sur la reprise. L’heure est encore à la réduction des coûts et l’assurance fait partie des éléments d’ajustement. Les dégâts de la crise sanitaire dans le rang des entreprises ont entraîné une baisse drastique des primes décès-invalidité-maladie et AT, celles-ci étant liées à la masse salariale. Par ailleurs, les négociations promettent d’être tendues entre assureurs et entreprises. Avec la provision pour risque tarifaire, les compagnies n’ont plus le droit de vendre à perte. Les prochaines semaines seront donc décisives. «Nous sommes dans un marché très tendu et très intéressant à la fois», relève Meryem Chami, directeur général d’AXA Assurance Maroc. Au-delà de l’impact de la crise sur les activités assurantielles, la conjoncture a aussi durement affecté les marchés financiers (baisse des taux obligataires et de la Bourse, report ou gel des dividendes…). «Cette situation forcera les compagnies d’assurance à être plus rationnelles sur le chiffrage et le pricing», note Meryem Chami. Pour optimiser le coût de l’assurance, les compagnies vont soit agir sur les couvertures ou le renforcement de la lutte contre la fraude. «L’écosystème a tout intérêt à cerner la fraude. Cela permettrait d’optimiser les primes pour les personnes et les entreprises honnêtes. Toutes les parties prenantes doivent être sensibilisées, y compris le système médical et judiciaire», estime le directeur général d’AXA Assurance Maroc.
Par ailleurs, le recouvrement constitue un axe majeur d’optimisation des coûts. C’est un sujet sur lequel la technologie pourra jouer un rôle important. «Nous sommes en cours de déploiement d’une solution visant à aider nos agents dans leur gestion au quotidien. Nous évoluons dans un marché où tout le monde demande des facilités de paiement et où il est extrêmement important qu’on outille nos agents afin qu’ils puissent bien piloter le recouvrement», annonce la patronne d’AXA Assurance Maroc.
Franck FAGNON | Edition N°:5889 Le 23/11/2020 –