L’assurance entre le Pourquoi et le Comment (1ère partie)

« Si nous ne changeons pas notre façon de penser, nous ne serons pas capables de résoudre les problèmes que nous créons avec nos modes actuels de penser «

Albert Einstein

Les premières compagnies d’assurance implantées au Maroc remontent au début du siècle dernier. C’est après l’indépendance que l’assurance s’est imposée en tant que composante du paysage financier. En effet, le secteur des assurances a évolué, depuis les années 1960, d’une manière harmonieuse et s’est développé à un rythme soutenu. Il s’est progressivement structuré pour se positionner au tant que vecteur de l’épargne institutionnelle et élément incontournable pour couvrir le risque de toute nature permettant, ainsi, aux Marocains de l’anticiper en vue de protéger leur patrimoine et leur activité. En plus, ledit secteur accompagne, à l’instar du secteur bancaire, l’économie marocaine dans son ouverture sur le reste du monde d’une manière générale, et sur les pays africains en particulier. Dans ce cadre, le Maroc dispose d’un marché de l’assurance à fort potentiel, offrant de belles perspectives aux assureurs. Et pourtant, le taux de pénétration (primes émises /PIB) de l’assurance au Maroc est relativement faible. Il avoisine -à peine- 3,9% en 2019 ; un taux qui demeure largement en deçà des attentes des professionnels du secteur.

Pour rappel, le taux de pénétration reste « l’outil traditionnellement le plus utilisé pour juger du développement du marché de l’assurance d’un pays donné. Il indique dans quelle mesure le secteur d’assurance contribue à l’économie nationale ». Alors comment expliquer ce taux bas ? Pourquoi un tel secteur qui dispose de tous les atouts n’arrive pas à rivaliser avec le secteur des pays européens où le taux de pénétration, en moyenne, dépasse la barre des 7%, sans citer celui de certains pays africains dont le taux de pénétration est à deux chiffres ?

Certains, pour expliquer cette faiblesse, lient la demande assurantielle à la culture arabo-musulmane qui constitue, selon eux, un frein psychologique majeur, voire religieux, entravant le développement et l’expansion de cette industrie.

D’autres n’y vont pas par quatre chemins, en ramenant le problème à une question de pouvoir d’achat. Sa faiblesse ne permet pas au citoyen de satisfaire plus que ses besoins de base. Se doter d’une couverture assurantielle dont les bienfaits ne sont pas tangibles immédiatement, est, le moins que l’on puisse dire, son dernier souci.

Personne n’a jamais allé au-delà des sentiers battus en explorant d’autres pistes pour sortir de la théorie du lampadaire selon laquelle « un mec qui vient de perdre ses clés, les cherche sous un lampadaire. Pas parce qu’il les a perdues là, mais parce que c’est le seul endroit éclairé de la rue ». Les facteurs exogènes, en l’occurrence la culture et le pouvoir d’achat, ont, certes, une part de responsabilité dans la faiblesse du taux de pénétration, néanmoins ces deux éléments, à eux seuls, ne sauraient expliquer cette faiblesse. N’y a-t–il pas des facteurs endogènes qui ne favorisent pas l’amélioration de cet indicateur ? Autrement dit, les compagnies d’assurances n’ont–elles pas une part de responsabilité ?

Une des principales caractéristiques du secteur de l’assurance, est que la structure de son chiffre d’affaires est globalement dominée par l’assurance Automobile et l’assurance Vie & Capitalisation. Les deux branches se taillent la part du lion avec 72% du chiffre d’affaires global.

Trois éléments sont à l’origine de ce constat :

i) L’assurance Automobile est obligatoire. Par la force de la loi, tout citoyen possédant un véhicule à moteur est obligé de souscrire une assurance automobile couvrant sa responsabilité civile ;

ii) La vente « forcée » de l’assurance vie & capitalisation par les banques via le canal bancassurance. Lors de l’octroi d’un crédit, d’un emprunt ou lors de l’ouverture d’un compte, l’achat d’un contrat d’assurance vie ou plus, selon la nature du crédit, est obligatoire. C’est ce qui explique la tendance haussière du chiffre d’affaires de cette branche.

iii) Les produits d’épargne classique qui présentent des nombreux attraits notamment les avantages fiscaux instaurés par la loi, à l’entrée comme à la sortie, sous certaines conditions tel que l’âge de sortie et la durée du contrat, motivant la demande de ces produits qui sont des produits ou des plans de placement plus que des produits d’assurance.

On peut requalifier les produits d’épargne classique en le considérant comme des plans de placement et non des contrats d’assurance, vu que dans ce genre de produit le risque n’existe pas : l’épargnant touchera son capital constitué à une date donnée. En cas du décès de l’épargnant, le capital sera versé aux bénéficiaires désignés par l’épargnant lui-même.

A la lumière de cette remarque, si l’on refait le calcul du taux de pénétration en déduisant des primes collectées les cotisations relatives à l’épargne, ce taux baissera encore davantage.

En 2019, le chiffre d’affaires de l’assurance vie et capitalisation a atteint, selon le rapport de l’ACAPS, 20,5 milliards de dirhams. Cette croissance, comme il est bien signalé sur ledit rapport, est portée par les produits d’épargne classique (support dirhams) qui ont drainé 16,2 milliards de dirhams.

En somme, le rapport du citoyen à l’assurance est loin d’être un rapport de libre choix. C’est un rapport qui ne découle pas d’une volonté mais d’une obligation. Le citoyen n’a pas à choisir. Il n’a qu’à se conformer à la législation et à se plier aux exigences de la banque. En clair, l’assurance ne va pas vers le citoyen pour le sensibiliser et promouvoir, par ricochet, la culture assurantielle, mais c’est le citoyen qui est contraint d’acheter des contrats qu’il n’est pas en mesure de négocier. Ainsi, tous les facteurs mis en avant pour expliquer la faiblesse du taux de pénétration se dissipent et ne constituent en réalité qu’un écran de fumée.

En fait, les vrais démarcheurs de l’assurance au Maroc sont l’Etat, en rendant des assurances obligatoires, et les banques, en adossant à tout crédit une assurance spécifique. Que doivent faire les compagnies d’assurance pour rendre la demande d’assurance spontanée et volontaire ?

Pour répondre à cette question, il faut d’abord comprendre la relation assuré – assureur. L’objectif est de voir comment une relation bilatérale, répondant au principe de la liberté contractuelle, entre deux parties, à savoir l’assuré et l’assureur, dans un cadre réglementé régit contractuellement, fonctionne-t-elle. Pourquoi cette relation est-elle si fragile au point que sa remise en cause tient à un cheveu ?

Nul besoin de préciser que dans cette relation, l’assureur est en position de force. Il demeure le seul meneur de jeu au moment où il a plus que jamais besoin de gagner la confiance du citoyen et en vue de promouvoir la culture assurancielle. La nature de son métier et sa recherche récurrente de nouvelles niches tout en élargissant son portefeuille existant, devraient l’amener à s’ouvrir sur son environnement et à faire de l’assuré un acteur proactif dans une démarche collaborative.

Cette démarche suppose que les compagnies d’assurances réservent à l’assuré le même traitement lors de la concrétisation du contrat qu’au moment de la survenance d’un sinistre d’une part, et ne considérent plus l’assuré comme une affaire ou un dossier muet qui se gère comme tout dossier selon des procédures laxistes ne favorisant ni un traitement avec diligence du contrat, ni l’instauration d’une communication fluide, systématique et dynamique capable de dissiper toute interprétation.

Le changement du comportement des assureurs ne peut évoluer qu’en faisant de la relation d’assuré–assureur une relation équilibrée, adulte–adulte, mettant les deux parties sur le même pied d’égalité : l’assuré d’hier n’est plus celui d’aujourd’hui.

[La suite dans la 2ème partie]

 logo-lnt – 02/11/2021 – Ahmed Chiguer

Expert en assurance

28 d’expériences au sein du secteur d’assurance

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