les « petits » assureurs africains font de la résistance

En Afrique, d’Abidjan à Douala, une poignée d’irréductibles assureurs locaux résiste à l’assaut des poids lourds panafricains et internationaux, dans une période propice aux fusions-acquisitions.

Assurances : quand les « petits » font de la résistance

Il aurait fallu barrière plus infranchissable pour que Bertrand Casteres, le directeur général du groupe mauricien d’assurances Mauritius Union Assurance (MUA), rebrousse chemin. Rendez-vous était pris de longue date pour venir négocier, à Paris, les ultimes détails du partenariat censé donner un nouvel élan à son groupe, fondé en 1948. Alors, en ce mois de juillet 2021, même si le vaccin contre le Covid-19 qui lui a été administré à Port-Louis quelques mois auparavant n’est pas reconnu par les autorités européennes, qu’à cela ne tienne : le quadragénaire en fait un deuxième, reconnu celui-là, pour pouvoir prendre l’avion. La conclusion d’une affaire vaut bien une double injection…

Depuis près de 18 mois, MUA émerge sur la scène continentale, notamment avec le rachat, en juillet 2020, de Saham Kenya, une filiale du géant sud-africain Sanlam – leader africain du secteur, avec un chiffre d’affaires en 2020 de plus de 9 milliards de dollars (7,9 milliards d’euros). Financée en totalité sur fonds propres par l’assureur mauricien (138 millions de dollars de recettes en 2020, + 13 % sur un an), l’opération représente plus de 12 millions de dollars. Elle a donné un coup d’accélérateur à la stratégie d’expansion du groupe coté à la Bourse de Maurice.

Activa, Sonam, ARC et les autres…

Le groupe insulaire MUA n’est pas un cas isolé. D’autres « petits » acteurs du milieu, s’ils ne sont pas en phase de conquête, se sont enracinés dans leurs marchés respectifs au cours de ces deux dernières années. C’est le cas du sénégalais Sonam, toujours leader national dans le domaine de l’assurance-vie, avec 49 millions de dollars de primes émises sur un marché très fragmenté. Ce groupe croît, par ailleurs, en dehors de ses frontières, depuis sa fusion, en 2020, avec Zenithe Afrik-Vie, au Cameroun. Il est également présent en Côte d’Ivoire, où, en 2021, ses filiales ont accueilli à leur tour de table le capital-investisseur Oasis Capital Ghana.

Même résistance au Congo, où l’assureur public Assurances et réassurances du Congo (ARC) et son compatriote privé Assurances générales du Congo (AGC) se réservent les premières places du podium. Et ce, en attendant la consolidation des comptes des Ivoiriens de la Nouvelle société interafricaine d’assurance (NSIA), laquelle, après sa fusion avec Sanlam Congo annoncée en septembre 2021, devrait devenir leader à Brazzaville.

En Afrique, il n’y a pas deux marchés d’assurances qui se ressemblent

Au Cameroun, l’activité principale, l’assurance non-vie, est dominée par le français Axa. L’opérateur local Activa Assurance ne relâche pas la pression pour autant. En 2019, le chiffre d’affaires d’Axa Cameroun, filiale du géant mondial fortement implanté en Afrique, avoisinait 35 millions de dollars. Ce qui représente 14 % des parts d’un marché global de près de 250 millions de dollars. Les primes émises par Activa (fondé en 1998 par le Camerounais Richard Lowe) s’élevaient, elles, à près de 30 millions de dollars.

D’après les derniers résultats recueillis en 2020 par l’Association des sociétés d’assurances du Cameroun (Asac), Axa et Activa occupent le peloton de tête et sont suivis de la Société africaine d’assurances et de réassurances (Saar) – détenu en majorité par Afriland First Bank, du tycoon camerounais Paul Fokam. L’exemple du Cameroun, numéro deux de la Conférence interafricaine des marchés d’assurance (Cima) derrière la Côte d’Ivoire, illustre bien cette remarque d’un expert du secteur : « En Afrique, il n’y a pas deux marchés d’assurances qui se ressemblent. »

La « résistance » jusqu’à quand ?

Pour l’heure, donc, les leaders occidentaux (l’allemand Allianz, Axa et, dans une moindre mesure, le britannique Prudential), comme les acteurs panafricains disposant d’un réseau étendu (Sanlam et sa filiale d’origine marocaine Saham, le Sénégalais Sunu, NSIA, etc), ne règnent pas toujours en maîtres sur leurs terres.

Au Maroc, au Cameroun, au Gabon, au Burkina Faso, au Sénégal, au Kenya, les groupes locaux trustent une place sur le podium ou, à défaut, résistent à l’harmonisation pure et simple du paysage africain de l’assurance. Derrière eux, une myriade de petits acteurs nationaux, disposant de moins de 5 % de parts de marché, s’accroche.

Opérations et projets se sont multipliés dernièrement

Mais jusqu’à quand et avec quels moyens ? La réponse reste d’autant plus indécise que, la crise sanitaire ayant entraîné une récession historique en Afrique subsaharienne, la seconde phase de la réforme des sociétés d’assurances de la zone Cima qui vise à porter leurs fonds propres de 3 à 5 milliards de F CFA (4,6 à 7,6 millions d’euros) a été reportée à, au moins, 2024. Ce qui laisse présager une période de latence avant que ne s’engage une profonde reconfiguration du secteur pour les quelque deux cents sociétés d’assurance et de réassurance des quatorze pays concernés.

Pourtant, avec le durcissement de la réglementation dans la zone Cima – la première phase de la réforme est entrée en vigueur en 2019 – et la pandémie de Covid-19, la période aurait pu se dérouler sur une tout autre musique pour les « petits acteurs » du secteur. Dans cette période d’incertitude, les leaders disposent en effet d’une large variété d’outils stratégiques de « croissance non organique », autant défensifs qu’offensifs, « dont les traditionnelles fusions, les acquisitions et les désinvestissements », ainsi que « les co-investissements, les co-entreprises et les alliances intersectorielles », rappelaient les experts du cabinet Deloitte dans leur rapport sur « les perspectives de fusion-acquisition dans les assurances », publié en décembre 2020.

De fait, opérations et projets se sont multipliés dernièrement : acquisitions croisées entre NSIA-Sanlam au Mali, au Togo et au Congo ; alliance stratégique en discussion entre ce même géant sud-africain et Allianz ; fusion-acquisition Atlanta-Sanad au sein du conglomérat marocain Holmarcom ; rachat, par Sunu, de la filiale d’Allianz Africa au Congo, conclu en novembre 2021, après la reprise des filiales du Bénin, du Burkina, du Mali et du Togo en 2019 ; arrivée, au début de janvier 2022, du colosse bancaire est-africain Equity, qui se lance dans l’assurance-vie au Kenya. Un regain d’effervescence qui ne semble pas encore affoler les acteurs de la « seconde partie du classement ». La sarabande du secteur africain des assurances semble devoir se poursuivre sur un rythme à deux temps. Pour l’instant…

Aurélie M’Bida – 14 février 2022 –

JeuneAfrique
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