Dans son rapport 2019-2020, la Cour des comptes a procédé au contrôle de la couverture médicale de base (CMB) instituée par la loi n°65.00, dans ses différentes composantes, à savoir l’Assurance maladie obligatoire des secteurs public (AMO/CNOPS) et privé (AMO/CNSS) et le Régime d’Assistance Médicale (RAMED). Un contrôle qui a relevé plusieurs observations.
Le contrôle de la CMB et le suivi des indicateurs de l’AMO revêtent un intérêt particulier, dans la mesure où ils s’inscrivent dans le contexte de la réforme du système de la protection sociale en général et de la couverture médicale en particulier. En effet, le chantier de la généralisation de la couverture médicale engagé par le Maroc depuis le début de cette année impose aux pouvoirs publics une bonne gouvernance du système pour éviter son échec. Il faut surtout éviter les erreurs du passé d’où l’importance des observations relevées par la CC.
A noter que ce contrôle a, essentiellement, porté sur les réalisations de la CMB, principalement en termes de couverture populationnelle, de ressources et dépenses, d’équilibre financier, et de gouvernance des prestations garanties par le système.
Ainsi sur le plan de la couverture populationnelle, le rapport rappelle la situation de la couverture sanitaire au Maroc dont le taux global de couverture de la population marocaine a atteint 68,8% à fin décembre 2018, dont 28,8% des assurés de l’AMO et 31% bénéficiaires du RAMED. Une partie, qui ne dépasse pas 9% de la population, bénéficie d’une couverture médicale dans le cadre de régimes spécifiques (mutuelles, caisses internes et/ou assurances privées).
Bien que la population couverte par la CMB enregistre une tendance haussière, près d’un tiers de la population marocaine (31,2%) reste encore hors champs de cette couverture. Il s’agit notamment : des travailleurs non-salariés (TNS), dont l’effectif des assurés ne dépasse pas, à fin 2020, 3.441 bénéficiaires, d’une population éligible, désignée par l’article 114 de la loi n°65-00, estimée fin 2020, à plus de 788.975 employés.
Concernant les ressources et les dépenses, le rapport révèle qu’elles ont connu une augmentation continue au cours de la période 2015-2019, passant de 10,5 Mds de DH à 14,4 Mds de DH pour l’AMO, et de 1,43 Mds de DH à 1,86 Mds de DH pour le RAMED.
» Toutefois, les ressources du RAMED qui proviennent, essentiellement du «Fonds d’appui à la cohésion sociale» sont caractérisées par leur instabilité, et ne font pas l’objet d’une rubrique dédiée au niveau du budget général de l’Etat ce qui serait de nature à mieux traduire et préciser son engagement en matière de financement de ce régime », lit-on dans rapport.
Pour l’AMO, dont les ressources sont, essentiellement, constituées de cotisations salariales et patronales, leur évolution est, principalement, influencée par :
- le ratio démographique (actifs/pensionnés), en dégradation continue, notamment pour l’AMO/CNOPS, qui est passé de 2,16 en 2015 à 1,63 en 2020,
- la masse salariale, particulièrement concentrée au niveau de la tranche salariale (2.500 DH-7.500 DH),
- les taux de cotisations en stagnation depuis l’instauration du régime.
Les dépenses de la CMB, enregistrent, de manière globale, une tendance haussière. Au niveau du RAMED, les dépenses des prestations de soins sont passées de 1,72 Mds de DH en 2015 à 2,4 Mds de DH en 2019. Toutefois, il convient de souligner que ces chiffres ne donnent pas une image réelle des prestations effectivement dispensées aux bénéficiaires de ce régime en l’absence d’une facturation exhaustive au niveau des établissements hospitaliers publics et plus particulièrement des hôpitaux ayant le statut SEGMA.
Au niveau de l’AMO, les dépenses de prestations sont passées de 6,95 à 9,83 MMDH entre 2015 et 2019. Cette situation a connu un changement en 2020, année marquée par les effets de la pandémie liée à la Covid 19, où les dépenses du régime ont connu une légère baisse de 5,38%.
L’évolution des dépenses de l’AMO est, essentiellement, impactée par trois déterminants :
- la prépondérance de la consommation des assurés porteurs d’Affection longue durée (ALD) ou d’Affection lourde et coûteuse (ALC). Cette catégorie d’assurés ne représente, en moyenne, que 4,5% des assurés de l’AMO en 2020, alors que, leurs dépenses de prestations dépassent la moitié des dépenses de ce régime.
- la tendance haussière durant la période 2015-2019 du taux de sinistralité passé de 21% à 25% pour l’AMO/CNSS, et de 44% à 47% pour l’AMO/CNOPS,
- l’importance des dépenses de médicaments, avec une consommation de 31,5% des dépenses de prestations couvertes par l’AMO au titre de l’année 2019.
Equilibre financier
Le rapport de la Cour des comptes révèle qu’en l’absence d’un financement distinct et individualisé du RAMED et de données exhaustives des coûts des prestations de soins consommées par ses bénéficiaires, il n’est pas possible de faire ressortir des indicateurs de résultats pour ce régime.
Et par conséquent, une analyse de son équilibre financier selon une approche méthodologique et des bases saines demeure
difficile à opérer. Pour l’AMO, l’AMO/CNSS réalise des excédents, depuis son instauration, ce qui lui a permis de constituer des réserves de l’ordre de 28,7 Mds de DH à fin 2019 et un résultat net de 3,9 Mds de DH.
Quant à l’AMO/CNOPS, elle a enregistré son premier résultat technique négatif en 2016, suivi d’un résultat global déficitaire en 2017 et en 2018. Ainsi, l’AMO/CNOPS, présente une situation financière à assainir et, à partir de 2016, les cotisations et les contributions ne couvrent plus les dépenses de prestations en plus des charges d’exploitation et des réserves techniques.
Il est à noter qu’en 2020, les indicateurs de résultats de l’AMO ont connu de légers changements sous l’effet des conséquences de la pandémie covid19 surtout pour l’AMO/CNOPS qui a ainsi réalisé un résultat technique de 134,7 MDH et un résultat net de 823,5 MDH.
Quid de la gouvernance ?
Le rapport précise que la gouvernance de la CMB est marquée par l’absence d’un cadre global de gouvernance de la CMB. En effet, la loi n°65-00 portant code de la CMB n’a pas déterminé le cadre de gouvernance de la CMB dans sa globalité. Elle n’a prévu ni organes, ni outils de coordination, de suivi ou de contrôle. Par conséquent, la gouvernance de l’AMO est principalement assurée par les instances de gouvernance des organismes gestionnaires (CNOPS et CNSS), tandis que pour le RAMED, aucun organe spécifique chargé de la gestion ou de la gouvernance du régime n’a été prévu.
De plus, le cadre réglementaire de l’AMO souffre d’incomplétude, d’incompatibilité et d’ambiguïté. Pour la régulation et le contrôle de l’AMO, des outils ont été prévus, par ce cadre réglementaire mais ils n’ont pas été mis en place.
Les magistrats de la CC concluent que la gouvernance actuelle de la CMB n’est pas de nature à permettre d’assurer un pilotage, un suivi et un contrôle efficaces du régime dans sa globalité. De plus, le panier des prestations de soins et le taux de couverture réel des frais les concernant sont négativement impactés par des insuffisances concernant la non actualisation des nomenclatures et de la tarification nationale de référence. En conséquence, le taux de couverture des charges des soins médicaux dispensés aux bénéficiaires de la CMB reste limité.
En l’absence de mécanismes dédiés au développement des ressources et au contrôle des dépenses, l’équilibre financier et la pérennité de la CMB et plus particulièrement de l’AMO reste tributaire des aides de plus en plus
importantes.
Recommandations de la Cour
Pour pallier les différents dysfonctionnements relevés, et dans la perspective de la généralisation de l’AMO et son application aux bénéficiaires du RAMED à l’horizon 2022, comme prévu par la loi n° 09.21 relative à la protection sociale, la Cour des comptes a recommandé au Ministère de la santé et de la protection sociale et au Ministère de l’économie et des finances, de revoir les paramètres de financement de la couverture médicale de base et engager une réflexion sur les mécanismes de diversification des ressources et moyens de son financement.
Elle a recommandé également de mettre en place un cadre de gouvernance de la couverture médicale de base dans sa globalité et d’instituer une autorité de régulation indépendante dotée des pouvoirs et moyens nécessaires, et adopter un système de veille et de prévention sanitaires et une politique pharmaceutique efficace. La Cour a souligné enfin l’importance de mettre à niveau l’hôpital public, en tant que principal levier de la couverture médicale de base, et du contrôle du secteur de santé privé.
15 mars 2022 –