Fusion CNOPS-CNSS: Une réforme complexe qui suscite de vives tensions

Le projet de fusion entre la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) et la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) doit marquer une étape importante dans l’évolution de la protection sociale au Maroc.

Cette réforme, introduite par le gouvernement à travers le projet de loi 54.23, vise à unifier la gestion des régimes d’assurance maladie obligatoire (AMO) sous un seul organisme, la CNSS. L’objectif est de moderniser et harmoniser le système de protection sociale pour les citoyens marocains, qu’ils soient issus du secteur privé ou public.


Cette réforme, portée par le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, promet une gestion centralisée des régimes d’assurance maladie, en intégrant notamment la couverture des
fonctionnaires du secteur public, actuellement assurée par la CNOPS. Le projet de loi inclut le
transfert des actifs et passifs de la CNOPS vers la CNSS, ainsi que la gestion des contrats et
conventions en cours. Les employés de la CNOPS seraient également transférés à la CNSS,
tout en conservant leurs droits à la couverture sociale et aux pensions.


Le gouvernement marocain met en avant plusieurs objectifs clés pour justifier cette réforme:
Améliorer la gestion de l’AMO : En centralisant la gestion sous un seul organisme, le gouvernement espère simplifier les procédures et améliorer l’efficience du système. Cela devrait faciliter l’accès aux soins pour tous les assurés, qu’ils soient fonctionnaires, salariés du privé ou non cotisants.


Assurer la viabilité financière du système : La CNSS, qui dispose d’un excédent financier, est
perçue comme mieux équipée pour absorber le déficit de la CNOPS et stabiliser l’ensemble du
système.


Harmoniser et moderniser les services : La fin de la coordination avec les mutuelles devrait
rendre le processus d’inscription et de gestion des dossiers plus fluide et transparent.


Le ministre Khalid Ait Taleb a insisté sur la nécessité de cette réforme pour assurer une
couverture sociale plus large et plus équitable, tout en renforçant la viabilité financière des
régimes d’assurance maladie à long terme.

Une opposition syndicale forte


Malgré les avantages annoncés par le gouvernement, cette réforme fait face à une vive
opposition, notamment de la part des syndicats. L’Union marocaine du travail (UMT), l’un des
syndicats les plus influents du pays, critique à la fois la forme et le fond du projet de loi. L’UMT
dénonce un manque de concertation avec les partenaires sociaux et fustige une réforme jugée
« précipitée ».


Les principales préoccupations du syndicat sont :
L’impact sur les assurés : L’UMT craint que la fusion n’entraîne une dégradation des services
offerts aux 3,1 millions de bénéficiaires actuels de la CNOPS, en raison de la disparité des
ressources entre les deux caisses.

Le maintien des droits des fonctionnaires : Bien que le gouvernement ait assuré que les droits
des fonctionnaires seraient maintenus, le syndicat reste sceptique quant aux modalités
pratiques de ce transfert.


La qualité des services : Selon le syndicat, la fusion pourrait entraîner une détérioration de la
qualité des soins, des délais de traitement des dossiers plus longs, et une diminution de l’accès
aux services médicaux.


Face à ces critiques, l’UMT a exigé le retrait immédiat du projet de loi et l’ouverture d’un
dialogue social inclusif, afin de mieux prendre en compte les intérêts des assurés et du
personnel concerné.

Retard dans l’adoption du projet


Sous la pression des syndicats et des mutuelles, le gouvernement a récemment décidé de
reporter l’examen du projet de loi n° 54.23. Le ministre délégué aux Relations avec le
Parlement, Mustapha Baitas, a annoncé que le texte nécessitait une étude approfondie avant
d’être soumis à nouveau au Conseil de gouvernement.


Ce report souligne la complexité de cette réforme, qui touche à la fois des questions
économiques, sociales et politiques. Si le gouvernement réaffirme l’importance de cette réforme
pour la généralisation de la couverture sociale, la nécessité de mieux préparer les conditions de
son application reste centrale.

De forts enjeux économiques et sociaux


Sur le plan économique, cette réforme est présentée comme une opportunité de rationaliser les
dépenses de santé. En intégrant les régimes de la CNOPS dans la CNSS, le gouvernement
espère mieux gérer les cotisations et les prestations, et centraliser les efforts pour accroître
l’efficacité globale du système.


La CNSS, avec ses excédents financiers, est perçue comme capable de compenser les déficits
budgétaires croissants de la CNOPS, dont la situation financière s’est dégradée au fil des ans.
Ainsi, l’idée est de stabiliser le financement de l’assurance maladie obligatoire et d’assurer une
couverture pérenne pour l’ensemble des assurés.


D’un point de vue social, le gouvernement insiste sur le fait que cette réforme n’affectera pas
les droits des assurés de la CNOPS, ni ceux des employés de l’institution. Cependant, la
méfiance des syndicats et des assurés reste forte, en raison de l’incertitude sur l’impact réel de
cette fusion. Le principal enjeu social concerne la qualité des services de santé : les syndicats
craignent que la centralisation ne conduise à des dégradations, avec un accès plus difficile aux
soins, des délais de remboursement plus longs, et une gestion plus bureaucratique.

Comparaisons à l’international


Pour mieux comprendre les enjeux d’une telle réforme, il est intéressant de regarder ce qui s’est passé dans d’autres pays ayant adopté des réformes similaires :

Tanzanie (2018) : Le gouvernement tanzanien a fusionné quatre grands fonds de pension pour
créer le Public Service Social Security Fund (PSSSF). Cette réforme visait à rationaliser la
gestion des fonds et à assurer une meilleure couverture des assurés. La fusion a permis
d’enregistrer 6 075 nouveaux membres en un an et de mieux gérer les actifs, évalués à 5 000
milliards de shillings. Cependant, des défis techniques liés à l’intégration des systèmes
informatiques ont retardé le plein déploiement de la réforme.
Grèce (2016) : En pleine crise financière, la Grèce a fusionné plusieurs régimes de sécurité
sociale pour créer l’EFKA, avec l’objectif de simplifier un système fragmenté. Si cette réforme a
permis de réduire les inefficacités administratives, elle a également entraîné des protestations
sociales en raison de la réduction perçue des avantages pour certains travailleurs​.
France (2019) : La réforme des retraites en France visait à fusionner une quarantaine de
régimes de retraite en un système universel. Bien que la réforme ait simplifié le système, elle a
provoqué des tensions sociales importantes, avec de vastes mouvements de grève dénonçant
une baisse des pensions dans certains secteurs.

Perspectives et incertitudes


Au Maroc, la fusion entre la CNOPS et la CNSS reste une priorité pour le gouvernement dans le cadre de la généralisation de la couverture sociale. Cependant, cette réforme doit encore
surmonter les obstacles politiques et sociaux qui se dressent devant elle.


Les prochaines étapes seront cruciales pour déterminer si cette fusion peut être mise en œuvre
avec succès. Le gouvernement devra convaincre les syndicats et les assurés des bénéfices à
long terme de cette réforme, tout en garantissant un dialogue social inclusif.


Le succès de cette réforme dépendra également de la manière dont le gouvernement gérera les aspects techniques et administratifs de la fusion. Des exemples internationaux montrent que de telles réformes, bien qu’ambitieuses et potentiellement bénéfiques, nécessitent une mise en
œuvre rigoureuse et un suivi attentif pour éviter les effets négatifs sur les assurés et le
personnel concerné.


En définitive, bien que cette fusion soit perçue comme une avancée vers la modernisation du
système de santé marocain, elle reste un sujet de débat intense, tant pour ses enjeux financiers
que pour ses conséquences sociales.

Rédaction 212assurances – 30 septembre 2024

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