L’amélioration des bases de remboursement de l’AMO est bloquée. Les différents acteurs refusent de s’exprimer ouvertement. Les politiques expliquent que les conventions sont à l’étude. Analyse.
Ce fut une joie de courte durée, que celle des salariés du secteur privé se réjouissant de l’amélioration des bases de remboursement de l’AMO et qui aurait pu réduire significativement le restant à charge (différence entre le montant payé réellement dans la prestation de soin et le montant remboursé par l’AMO).
Et pour cause, l’entrée en vigueur de ces conventions signées le 13 janvier, sous l’égide de l’Anam, entre la CNSS et les professionnels de la santé est bloquée.
Ce 13 janvier 2020, trois conventions avaient été signées en présence du ministère de la santé, Khalid Ait Taleb:
– Convention nationale entre la CNSS et les établissements de soins privés.
– Convention nationale entre la CNSS et les médecins spécialistes du secteur privé.
– Convention nationale entre la CNSS et les médecins généralistes du secteur prive?.
Par ces trois conventions conclues pour une durée de 4 ans, les Tarifs Nationaux de Référence (TNR) de plusieurs actes dont les tarifs des consultations ont été revus à la hausse.
Médias24 avait publié à l’occasion un article détaillant les changements qui devaient s’opérer après la publication au B.O de ces conventions.
Nous avions écrit que « ces révisions s’appliquent aux salariés du privé car seule la CNSS a signé les conventions » et que « la Cnops doit d’abord régler quelques détails techniques avant de signer. Mais sur le principe, elle n’est pas contre les revalorisations opérées », comme nous le confiait à l’époque une source proche du dossier.
Mais l’absence de la CNOPS lors de cette cérémonie cachait un malaise bien plus profond et plus grave qu’il n’y paraissait.
La « mise en attente » des conventions est confirmée
Après signature des conventions entre la CNSS et les professionnels de la santé, elles devaient être publiées au Bulletin officiel et appliquées 60 jours après leur date de publication, sous forme d’arrêté.
Or, de sources sûres nous savons que ces conventions n’ont pas pris le chemin du secrétariat général du gouvernement. « La convention n’a pas été validée par la primature, elle n’a pas non plus été rejetée. Un groupe de travail a été constitué pour étudier la question », poursuivent nos sources.
Les conventions sont donc en attente. Une mise en attente qui suscite moult interrogations. D’abord qui les bloque et pourquoi?
Selon plusieurs sources concordantes, la suspension de la publication des conventions au B.O est survenue à la suite d’un « courrier » adressée par la Cnops à la primature et au ministère des Finances.
Suite à ce courrier, le ministère des Finances et selon les mêmes sources, a émis un avis à la primature recommandant de « surseoir » à la publication de ces conventions en attendant « d’approfondir la question ».
Nous n’avons pas pu confirmer ces éléments auprès du ministère des Finances.
Contactée, la CNSS, principal signataire de ces conventions, n’a pas souhaité commenter le sujet.
Du côté des prestataires de soins, nous n’aurons pas plus d’informations. « Je n’ai aucune nouvelle officielle sur le blocage », nous confie Redouane Semlali, président de l’Association nationale des cliniques privées (ANCP).
Interrogée, la Cnops « ne souhaite pas rebondir sur ce sujet », nous a-t-on répondu.
Des intérêts divergents
La Cnops n’a pas voulu répondre à nos questions, mais elle s’est déjà exprimée sur la question par le biais de son Directeur général.
Abdelaziz Adnane a expliqué sur les colonnes de notre confrère Telquel, que « la signature de ces conventions nationales est un acte illégal dont les impacts négatifs sont incalculables sur les régimes de l’AMO, les couvertures complémentaires, les régimes subventionnés par l’Etat et la mutuelle des FAR ».
L’argument de l’illégalité brandi par le DG de la Cnops s’appuie sur la loi 65-00, portant Code de couverture médicale de base. Les articles 19et 21 de ladite loi encadre la signature des conventions.
Article 19 dispose: « En ce qui concerne les prestations de soins rendues par le secteur privé, les conventions nationales sont conclues entre, d’une part, l’ensemble des organismes gestionnaires et, d’autre part, les conseils nationaux des ordres professionnels concernés avec le concours d’une ou de plusieurs organisations syndicales des prestataires de soins à vocation nationale. En cas d’inexistence d’un ordre professionnel, les conventions nationales sont conclues entre, d’une part, l’ensemble des organismes gestionnaires et, d’autre part, la ou les associations professionnelles à vocation nationale les plus représentatives des différentes catégories de professionnels de la santé concernées, y compris les établissements de soins ou d’hospitalisation privés. (…) »
En résumé, en vertu de la loi, la convention nationale doit être signée par les organismes gestionnaires de l’AMO, en même temps. Y compris la Cnops qui, elle, n’a pas signé.
Et au cas où aucun accord n’est trouvé, que se passe-t-il? L’article 21 de la même loi précise « qu’à défaut d’accord sur les termes des conventions nationales, l’administration reconduit d’office la convention précédente, lorsqu’elle existe, conclue en vertu de la présente loi ou, le cas échéant, édicte un règlement tarifaire après consultation de l’Agence nationale de l’assurance maladie. »
C’est justement le cas depuis 13 ans durant lesquelles les négociations n’ont jamais abouti à un consensus. Les anciennes conventions ont été automatiquement reconduites. C’est d’ailleurs un sujet de discorde entre les professionnels de soins et l’Etat.
L’Anam avait décidé, sous l’impulsion de son nouveau directeur général Khalid Lahlou, de prendre à bras le corps ce dossier et le faire avancer. Des négociations ont été relancés sous l’égide de l’agence en novembre 2018 et ont duré jusqu’à janvier 2020, date de la signature des conventions avec la CNSS et sous la présidence du ministère de la Santé. Serait-ce une application de l’alternative qu’offre l’article 21 de la loi 65-00 et qui stipule: « l’administration (…) édicte un règlement tarifaire après consultation de l’Agence nationale de l’assurance maladie? » Aucun protagoniste n’a voulu commenter ouvertement la question.
Retour au statu quo?
La situation est ambiguë, conflictuelle et très sensible. D’abord parce qu’il y a deux régimes fondamentalement différents qui veulent aller à deux vitesses antinomiques alors que la loi lie leurs destinées.
D’un côté, il y a la CNSS qui dispose d’un matelas financier de plus de 22 milliards de DH d’excédent du régime AMO qu’elle a décidé d’investir pour « améliorer les remboursements de ses assurés », comme nous l’a assuré une source autorisée après la signature des conventions.
Cette orientation de la CNSS est globale et a été prise dans le cadre de son conseil d’administration qui se compose des ministères de l’Emploi, des Finances, de la CGEM et des syndicats. La CNSS a décidé, après avoir effectué les études nécessaires, l’amélioration des TNR, et l’augmentation du taux de remboursement de 70% à 80% ainsi que la revalorisation d’autres actes comme ceux de l’optique et le dentaire.
De l’autre, il y a la Cnops qui est en plein processus de réforme institutionnelle et qui traverse des difficultés financières avérées et connues de tous.
En 2019, le directeur général de la Cnops avait présenté les facteurs impactant les finances de la caisse à l’issue de son 19e conseil d’administration :
– Le faible taux de cotisations et leur plafonnement (plafonné à 400 DH quel que soit le salaire du fonctionnaire).
– Le vieillissement de la population.
– L’accueil de nouvelles populations concernées par l’article 114 de la loi 65-00.
– La cherté des analyses biologiques et l’envolée des dépenses des médicaments et des dispositifs médicaux remboursables.
– L’évolution inquiétante du poste dentaire puisqu’il est passé de 76 MDH en 2006 à 561 millions en 2016, soit un bond de 640%.
S’ajoutent à cela, des problèmes de gouvernance listés par la Cour des comptes dans son rapport de 2019 à savoir un cadre juridique inachevé, des mutuelles en situation d’incompatibilité, l’absence de contrôle technique,…
Le patient, grand perdant
Dans ce système, c’est le patient qui est le grand perdant, notamment le salarié du privé qui cotise plus mais dispose de conditions de remboursement moins avantageuses que dans le secteur public.
Ce patient se soucie d’abord de ses propres finances qui doivent assumer un restant à charge important. « Le taux de couverture des soins en mode ambulatoire, se situe, en moyenne, à 58% par rapport au tarif national de référence. En 2017, 61% des dossiers ont été remboursés avec un taux inférieur à 70% », expliquait la Cour des comptes.
Une réalité dont l’interprétation diffère que l’on se positionne du côté des prestataires de soins ou du côté de la Cnops. Cette dernière avance que cette situation « trouve son explication plus particulièrement dans le non-respect des tarifs par bon nombre des prestataires du secteur privé (surfacturation), et ce, sans parler du paiement au noir qui ne figure pas sur les factures ». Alors que les premiers expliquent cela plutôt par la non-révision des TNR.
Une bataille des arguments qui maintient un statut-quo au détriment du citoyen.
Et les politiques dans tous cela? « Le ministre de la Santé dit qu’il faut que ça bouge, le ministre de l’Emploi est absent, le chef du gouvernement et son ministre des Finances disent qu’il n’y a pas d’argent », résumait un professionnel de la santé dans un précédent échange il y a quelques mois. La situation ne semble pas avoir avancé depuis…
Hayat Gharbaoui –
Le 10 février 2020