Finance, assurance : place aux actuaires

Les écoles et dispositifs de formation continue renforcent leurs cursus.

Les actuaires disposent d’expertises de plus en plus recherchées par la gestion d’actifs. Une tendance qui n’a pas échappé aux écoles et aux dispositifs de formation continue, qui renforcent leurs cursus pour doter leurs élèves des meilleurs atouts.

Faut-il continuer à opposer « quants » et actuaires ? Les carrières dans l’assurance sont-elles compatibles avec les métiers de la finance ? Quelle voie embrasser pour les férus de mathématiques ? École d’actuariat ou master de finance ? Alors que le puissant appel d’air provoqué par la mise en place de Solvabilité II dans les compagnies d’assurances semble à présent terminé, la question des débouchés offerts aux jeunes actuaires se pose, tout comme la question de l’évolution de carrière des actuaires déjà en poste.

Une minorité dans la finance

Aujourd’hui, environ 80 % d’entre eux en France travaillent dans l’assurance, contre environ 15 % seulement dans la finance. « Nous les actuaires en finance, nous sommes vraiment des pions isolés sur l’échiquier », constate, un rien fataliste, Pierre-Henri Floquet, actuaire certifié IA, expert bancaire au Mécanisme européen de stabilité. « On n’est pas très nombreux. Même si beaucoup de gens se penchent sur les modèles, la très grande majorité ne sont pas actuaires. »

Il est vrai que l’école française d’actuariat est plus largement tournée vers l’assurance. « Le biais historique tient au fait que la profession a été créée par les assureurs et les autorités de contrôle de l’assurance, qui sont distinctes des autorités de contrôle des marchés financiers », souligne François Delavenne, actuaire honoraire IA, administrateur délégué du Centre des professions financières et président du cabinet FDA.

Mais les choses ont vocation à changer, rétorque François Bonnin, actuaire certifié IA et directeur d’un pôle quantitatif transversal actuariat-finance chez KPMG, qui note que « ce sont quand même deux métiers qui se parlent ! » D’ailleurs, en Grande-Bretagne, la frontière entre actuariat et asset management est, depuis quelques années, beaucoup plus poreuse qu’auparavant, en raison notamment de la sophistication des produits, comme la titrisation des titres d’assurances ou les variables annuities. Ainsi, selon Olivier Héreil, actuaire certifié IA et directeur général adjoint et responsable de la gestion d’actifs chez BNP-Paribas Cardif, « on ne peut pas imaginer construire des produits d’assurance vie sans l’expertise des actuaires ».

L’accroissement des risques dans tous les domaines, parallèlement, accroît naturellement le champ d’action des actuaires. « Tout est dans l’état d’esprit, estime Francois Delavenne. S’il s’agit de faire simplement du trading, les actuaires n’ont aucune supériorité. Mais si le risque était le métier des assureurs, à présent, c’est de plus en plus celui des institutions financières. La banque est aujourd’hui l’un des foyers de risques, et de risques systémiques, et il faut s’y intéresser. »

L’expert du risque par excellence

« L’actuaire est “le” spécialiste de la gestion du risque, rappelle opportunément Christophe Couturier, actuaire certifié IA et directeur général d’Ecofi Investissements – qui compte 10 % d’actuaires dans son équipe –, et il possède cette compétence de manière pointue. » Compétence qui en recouvre plusieurs, liées et très appréciées : la capacité de modélisation du risque et la capacité d’établir des scénarios (lire interview d’Arnaud Clément-Grandcourt et Hervé Fraysse, p. 40). De ce fait, là où les gestionnaires d’actifs, dont le métier est plutôt de faire des investissements – ce qui suppose une forme de pari –, seraient enclins à rester sur un ou deux scénarios, les actuaires auront tendance à prendre en compte une palette beaucoup plus large de scénarios envisageables.

Les compétences des actuaires en matière de modélisation sont tout aussi reconnues, alors que dans ce domaine les gestionnaires d’actifs sont très mal armés. Les modèles jouent un rôle de plus en plus important dans la gestion d’actifs et il est important de savoir évaluer et gérer ces risques de modèles, qui sont de deux ordres : d’une part, le risque que le modèle soit mal construit, d’autre part, le risque que le modèle soit correct mais que son utilisateur ne le comprenne pas et/ou ne l’utilise pas à bon escient.

Paradoxalement, la mise en place de Solvabilité II et l’arrivée des actuaires aux fonctions clés ont accru leur visibilité dans l’univers de la finance, où ils apparaissent plus que jamais comme « les gardiens du temple du risque ».

Une vision à long terme

Spécialistes du risque, les actuaires ont un autre atout dans leur manche : « Un bon actuaire est quelqu’un qui a été élevé dans la préoccupation de la durée de l’échelle temps », souligne ainsi François Delavenne. Tout le contraire des traders, dont le métier serait plutôt de raisonner au jour le jour, voire à plus court terme encore. L’Isfa ne présentait-elle pas de cette manière le rôle de ses futurs diplômés : « Par la gestion des risques, contribuer à la stabilité financière, à l’équilibre social et au développement durable »…

Si bien que les actuaires sont mieux qualifiés que les gestionnaires pour aborder toutes les problématiques de financement à long terme, que l’on exprime aujourd’hui sous divers vocables : RSE, gestion durable… «  C’est ce biais-là qui en fait des financiers un peu à part, ajoute même François Delavenne. S’ils ne partagent pas cette finalité, les actuaires deviennent des juristes et des mathématiciens ordinaires. » Francois Bonnin renchérit sur ce point : « Là où les actuaires ont quelque chose d’important à apporter, c’est sur leur vision stratégique sur une durée longue et leur vision globale du bilan, alors qu’en gestion d’actifs classique, l’horizon est plus court. » Sans compter que les gestionnaires d’actifs connaissent mal, voire pas du tout, les problématiques ­actif/passif des assureurs.

Cette connaissance du métier des assureurs fait aussi partie des atouts que l’on reconnaît aux actuaires gestionnaires d’actifs : « Quand ils vont vendre une solution financière à une institution comme une compagnie d’assurances ou une mutuelle, l’avantage des actuaires est qu’ils parlent le même langage que leurs clients », reconnaît Christophe Couturier. « Leur savoir-faire est indispensable dans une équipe de gestion d’actifs d’une compagnie d’assurances, qui gère en permanence l’interaction entre l’actif et le passif », confirme là-dessus Olivier Héreil.

Ce qui est vrai pour les problématiques actif/passif, d’ailleurs, l’est tout autant pour ce qui est de l’environnement réglementaire des assureurs, et ce alors que les ingénieurs financiers, de leur côté, ne possèdent que rarement la maîtrise de la réglementation. « Par rapport à ceux qui n’ont fait que de la finance durant leurs études, c’est indéniablement un avantage », confirme Cédric Chavot, actuaire associé IA et gestionnaire d’actifs dans l’équipe d’Olivier Héreil.

[traitement;requete;objet=article#ID=1179#TITLE=Les actuaires et les « quants » étudiés par l’Institut des actuaires]

L’atout déontologique

Outre leur connaissance de la réglementation et de l’environnement juridique, les actuaires peuvent opposer aux gestionnaires leur code de déontologie, véritable garde-fou face aux errements de certains traders, et les normes actuarielles. « Les comportements ne sont pas tout à fait les mêmes quand on appartient à une profession organisée et que l’on risque de perdre son titre et sa fonction si on ne respecte pas les règles », note Pierre-Henri Floquet. D’autres vont même plus loin et opposent à l’univers « sans foi ni loi » de la finance l’approche « prudente et adaptée » des actuaires.

Dotés de toutes ces compétences, les actuaires ont-ils pour autant toutes les qualités et qualifications nécessaires pour opérer dans la gestion d’actifs ? Certains plaident pour un renforcement des enseignements en banque/finance au cours des études actuarielles. Les jeunes diplômés auraient tout à gagner à mieux connaître les produits financiers les plus sophistiqués et à accroître encore leur maîtrise de l’économie. Sinon, prévient Arnaud Clément-Grandcourt, actuaire agrégé IA, « on risque de voir arriver dans la finance des actuaires venus de Londres ! » Ainsi Cédric Chavot, pour accéder à une carrière de gestionnaire d’actifs, a-t-il complété sa formation d’actuaire par la lecture de nombreux ouvrages sur les sujets de gestion d’actifs, de modélisation financière ou d’allocation d’actifs, et en faisant ses stages en asset management durant son cursus à l’Euria. Le jeune actuaire donne à présent des cours en gestion de portefeuille à l’Euria, œuvrant ainsi pour que les futures promotions de jeunes actuaires puissent à leur tour se diriger vers la finance.

Des formations plus économiques au programme

Michel Piermay, actuaire agrégé IA et associé chez Fixage, est relativement sévère, lui, sur les lacunes de la formation : « Si les actuaires étaient autrefois très présents dans les métiers de la finance, les écoles n’ont pas renouvelé leurs enseignements et sont devenues beaucoup trop académiques », assène-t-il, déplorant notamment « le manque de culture économique » des jeunes promotions. Un reproche qui rejoint la préoccupation de Stéphane Loisel, actuaire agrégé IA, professeur à l’Isfa : « Dans le cadre de la nouvelle habilitation, nous avons mis à jour certains cours d’économie, pour insister davantage sur les liens entre économie et gestion d’actifs. De même, nous faisons participer les étudiants à des cours d’apprentissage des comportements des agents financiers. »

À l’Ensae ParisTech, les élèves qui ont pris la voie Actuariat doivent, sur les 13 matières obligatoires, suivre quatre cours liés aux questions financières : instruments financiers, introduction aux mathématiques financières et modélisation mathématique, gestion de portefeuille et introduction à la gestion des risques. Et, s’ils le souhaitent, ils peuvent suivre des enseignements supplémentaires dispensés dans la voie Finance et gestion des risques. Certains choisissent également de suivre le cours Valorisation et couverture d’actifs dérivés, assez pointu.

Pour ceux qui n’auraient pas pu bénéficier de ces enseignements lors de leur cursus initial, l’idée de proposer une formation en économie financière et marchés de la finance aux actuaires en exercice pourrait avoir du sens, sur le même modèle que la formation ERM-CERA, ou la formation Data Science. « Cela permettrait aux assureurs de parler à armes égales avec les salles de marché qui leur servent de contrepartie », note par exemple François Bonnin. Et pourquoi pas, à moyen terme, créer dans les écoles une véritable filière d’actuariat financier, destinée à asseoir la crédibilité des professionnels de l’actuariat dans ce domaine et à convaincre définitivement les banques de créer des équipes pluridisciplinaires.

14 mars 2016

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