Après une année 2020 marquée par les effets de la pandémie, le secteur des assurances a rapidement recouvré ses fondamentaux en 2021.
Othman Khalil El Alamy, président par intérim de l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale, nous livre dans cette interview son témoignage sur la résilience du secteur et fait le point sur les multiples chantiers en cours chez l’Autorité.
Finances News Hebdo : Quel bilan pouvons-nous faire de l’activité du secteur des assurances en 2021 ?
Othman Khalil El Alamy : Je tiens tout d’abord à préciser que l’année 2021 a été marquée par une bonne performance du marché des assurances, avec un chiffre d’affaires franchissant la barre des 50 milliards de dirhams (hors réassureurs exclusifs), en progression de 10%, selon les dernières données provisoires. Et comme en attestent les chiffres, cette performance est portée à la fois par l’assurance-vie, qui enregistre une progression de 11,7%, et par la branche non-vie, qui affiche un taux de croissance de 8,6%. Plus précisément, la croissance de l’activité vie est impulsée par l’épargne, qui réalise une progression de 12%, grâce à la bonne tenue des supports en dirhams (+11,3%) et la dynamique soutenue des supports en unités de compte (+19,8%). Quant aux émissions non-vie, l’amélioration s’explique principalement par le retour à la croissance de l’assurance automobile, avec une progression de 7,8% après une quasistagnation en 2020 sous l’effet de la crise sanitaire. Sur le plan financier, l’année 2021 marque la reprise du marché boursier (+18,35% de l’indice MASI), ce qui a ramené les plus-values latentes à leur niveau d’avant-crise. Par ailleurs, l’encours des placements affectés aux opérations d’assurances s’est élevé en valeur d’inventaire, à fin décembre, à 186 milliards de dirhams, affichant une hausse de 7,2% depuis le début de l’année.
F.N.H. : Quelle évaluation faites-vous de la résilience des secteurs supervisés par l’ACAPS après 2 années de crise sanitaire ?
O. K. E. A. : Vous n’êtes pas sans savoir qu’à l’instar des autres secteurs d’activité, le secteur des assurances a été touché par les effets de la crise sanitaire. Toutefois, et grâce à ses fondamentaux, ce secteur a montré une résilience face à cette situation. Ainsi, les émissions des entreprises d’assurances et de réassurance (hors réassureurs exclusifs) ont connu, courant l’année 2020, une légère augmentation de 1,8%, marquant ainsi une décélération, tandis que l’année 2021 annonce une reprise de la tendance haussière amorcée depuis une dizaine d’années, affichant ainsi une croissance de 10%. Sur le plan financier, la contraction du marché financier en 2020 et la sensibilité du portefeuille au risque actions ont pesé sur la situation bilancielle des entreprises d’assurances et de réassurance, malgré les mesures déployées par l’Autorité afin d’atténuer les effets de la crise. Ainsi, les plusvalues latentes ont affiché une forte baisse de 25,7%. Cette situation, soulignons-le, s’est sensiblement améliorée en 2021, profitant du redressement du marché financier.
F.N.H. : Fin 2021, l’ACAPS a commencé à délivrer les premiers agréments Takaful au marché. Pouvezvous nous en dire plus ?
O. K. E. A. : Il faut dire que l’assurance Takaful est une activité prometteuse à laquelle l’Autorité accorde une grande importance. En tant qu’assise fondamentale de l’écosystème de la finance participative, cette assurance a franchi une étape importante avec la publication, en octobre 2021, des textes réglementaires régissant cette activité. Dès la publication de ces textes, l’Autorité s’est mobilisée pour examiner les demandes d’agrément pour l’exercice de l’assurance et la réassurance Takaful. Rappelons à cet égard que le Conseil de l’Autorité a accordé l’agrément à trois entreprises d’assurances et de réassurance Takaful (Wafa Takaful, Takafulia Assurances et Taouniyate Taamine Takafuli ) lors de sa réunion du 10 décembre 2021, et à deux autres entreprises lors de sa réunion du 28 janvier 2022 (Almaghribiya Takaful et la fenêtre Re-Takaful de la SCR). Les décisions d’agrément des trois premières entreprises d’assurances Takaful viennent d’être publiées au Bulletin officiel du 27 janvier 2022. D’autres mesures sont menées en parallèle par l’Autorité afin d’accompagner et d’accélérer la mise en œuvre de l’activité d’assurance Takaful sur le marché. Il s’agit, en premier lieu, de la préparation par l’Autorité d’un modèle type de règlement de gestion du Fonds d’assurances Takaful et de l’obtention de l’avis conforme du Conseil supérieur des Oulémas (CSO) sur ce modèle type. Le règlement de gestion du Fonds d’assurances Takaful constitue un document essentiel dans la relation entre les participants aux Fonds d’assurances Takaful et l’EAR Takaful gestionnaire. En effet, la signature de ce document par les deux parties déclenche l’adhésion du participant au système d’assurance Takaful et le consentement du participant aux règles et aux modalités de gestion du Fonds, telles que fixées par l’entreprise gestionnaire. Compte tenu de l’importance de ce document, le cadre légal prévoit sa soumission à l’approbation de l’Autorité et à l’avis conforme du CSO. Afin d’accélérer le processus de validation des règlements de gestion des Fonds d’assurances Takaful, le modèle type sera retenu par les entreprises Takaful pour l’établissement de leurs propres règlements de gestion. A noter aussi l’élaboration par l’Autorité des modèles type de contrats d’assurances devant accompagner les produits commercialisés par les banques participatives et l’obtention de l’avis conforme du CSO sur ces modèles. Il s’agit des conditions générales du contrat décès-invalidité Takaful, du contrat multirisque bâtiment et du contrat investissement Takaful. L’objectif étant de faciliter le démarrage effectif de cette nouvelle activité et de fluidifier les échanges avec le CSO dans l’octroi de son avis conforme pour les produits d’assurances Takaful à commercialiser par les entreprises d’assurances et de réassurance Takaful agréées dans cette phase de démarrage.
F.N.H. : Ces agréments veulent-ils dire que les compagnies Takaful peuvent démarrer leurs activités ou reste-t-il des conditions préalables (si oui lesquelles ?) ?
O. K. E. A. : L’opérationnalisation de l’assurance Takaful entame sa dernière ligne droite. Bien que la publication des décisions de l’Autorité portant agrément des entreprises d’assurances Takaful au BO soit cruciale dans le processus de l’opérationnalisation du Takaful, elle n’est pas suffisante pour le lancement de cette activité. Plusieurs formalités s’imposent pour le démarrage effectif de cette nouvelle activité. Il s’agit notamment de l’immatriculation des fonds d’assurances Takaful au registre de commerce, l’approbation des règlements de gestion des fonds d’assurances Takaful par l’Autorité, après avis conforme du CSO, l’homologation des spécimens des contrats d’assurances (y compris les règlements généraux sur les rachats et avances), après avis conforme du CSO, ainsi que l’agrément des opérateurs de la distribution habilités à présenter les opérations d’assurances Takaful. Cela étant, il est utile de signaler que le processus d’accomplissement de ces formalités est déjà enclenché, voire finalisé pour certaines.
F.N.H. : Outre le Takaful, quels sont les autres chantiers prioritaires de l’ACAPS en 2021 ?
O. K. E. A. : Après une année 2020 marquée par le déclenchement de la crise sanitaire durant laquelle l’ACAPS s’est pleinement mobilisée pour accompagner le secteur des assurances, 2021 a aussi été riche en réalisations, notamment l’adoption du plan stratégique 2021/2023, qui trace la deuxième feuille de route triennale de l’Autorité depuis sa création. Décliné en objectifs opérationnels, ce plan, précisons-le, est résolument axé sur les principales missions de protection des consommateurs et de veille au bon fonctionnement des secteurs régulés. Outre le chantier Takaful, dont la mise en place permettra d’écrire une nouvelle page dans l’histoire de l’assurance au Maroc, l’ACAPS mène plusieurs chantiers dans le cadre des missions qui lui sont dévolues, tout en prenant en compte les enjeux et défis ayant trait aux différentes mutations tant au niveau national qu’international. Parmi les objectifs phares de l’Autorité, il y a lieu de citer la stabilité et la pérennité des secteurs dont elle assure la régulation. C’est d’ailleurs dans ce cadre que s’inscrit le projet de Solvabilité basé sur les risques «SBR», qui avance au rythme escompté et qui connaîtra une implémentation progressive en vue de promouvoir les principes de bonne gouvernance pour une gestion saine et prudente des entreprises d’assurances et de réassurance. Dans le même sillage, l’ACAPS poursuit les efforts de renforcement de ses dispositifs réglementaires et de ses mécanismes de supervision et projette, dans ce cadre, d’instaurer notamment un cadre approprié de supervision macro-prudentielle. S’agissant du contrôle relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, l’Autorité a parachevé la transposition des normes internationales, notamment celles du GAFI, à son dispositif réglementaire. En matière de promotion de l’éducation financière, l’Autorité continue, aux côtés de la Fondation marocaine de l’éducation financière (FMEF), de mener des actions de vulgarisation et de sensibilisation du grand public sur les secteurs soumis à son contrôle afin de mieux guider les consommateurs dans leurs décisions et de favoriser ainsi des comportements vigilants. Par ailleurs, la digitalisation est au cœur des priorités de l’Autorité. Il faut dire qu’il ne s’agit plus d’un choix, mais d’une nécessité impérieuse, à travers l’accompagnement du secteur des assurances dans sa transformation digitale. Le développement du niveau de compétences dans le secteur des assurances n’est pas en reste. Cet objectif passe par l’accompagnement de la profession dans le renforcement de ses capacités, à travers des formations ciblées et des plateformes dédiées. A ce titre, on peut citer, entre autres, le programme E-Wassit Taamine qui a été lancé en janvier 2021 en vue de renforcer les compétences des intermédiaires d’assurance pour leur permettre de suivre les évolutions du secteur.
A. Hlimi – 17 Fevrier 2022